Ignorer les conséquences de la manipulation à forme perverse ?
3 déc. 2019
La manipulation perverse est-elle un phénomène sociétal ? 2 ème partie
La manipulation perverse est-elle un phénomène sociétal ?
2 ème partie
Les symptômes les plus élaborés dont j’ai parlé dans la première partie sont des peurs viscérales, des fixations psychiques sur des vécus contextuels à une relation toxique. Lorsque les patients se présentent au cabinet, ils parlent de ruminations, de difficultés de ressentis émotionnels, de confusions, de peurs patentes des autres. Celles-ci sont d’intensités variables, mais elles conduisent à force de temps, vers un état anxiogène chronicisé. Ce vécu est parfois aggravé par l’instauration d’une précarité plus ou moins longue, née de la rupture (difficultés de relogement, de recherche d’emploi, problématique que subissent les acteurs sociaux pour venir en aide dans ces périodes d’économies budgétaires, etc.).
Peut-on parler d’une réaction post manipulation ?
Oui, car elle la conséquence d’un évènement traumatisant qui est caractérisé par sa durée. Ce traumatisme va enclencher des réactions diverses en fonction du parcours des personnes touchées. Mais le sentiment d’abandon, de questionnements semble unir toutes les victimes (développement dans la 3ème partie). Elles peinent à se réapproprier une place dans un monde qu’elles considèrent comme hostile. Leurs relations et l’interaction avec l’extérieur en sont profondément impactées.
La mésestime de soi est-elle une conséquence de la manipulation ?
Oui, car toutes les victimes se déprécient et s’accusent d’une responsabilité subjective. Elles savent avoir été malmenées, tout en refoulant (dans un premier temps) qu’elles l’ont été à leur insu. Cette phase mérite un débriefing. Il est important de replacer les évènements contextuellement au vécu. L’empreinte de la manipulation à forme perverse est dirigée uniquement vers la proie. Elles n’en ressentent que les conséquences. Le travail de sape explique en partie ces sensations. Mais la thérapie replace la scénographie de ces violences morales, fixant le manipulé et le manipulateur dans son propre parcours.
Les victimes du manipulateur racontent-elles une histoire commune ?
Oui, la plupart parlent de problèmes physiologiques. Ceux-ci sont imputables à un stress prolongé. En effet lorsqu’une personne est sous pression au long court, deux attitudes semblent se mettre en place.
1) « Le déni » qui va enfouir profondément l’angoisse en la rationalisant par exemple :
- « Ce n’est pas possible que quelqu’un qui m’aime me fasse sciemment du mal. J’ai sûrement une part de responsabilité. Il faut que je m’améliore. Il y a des problèmes lui/elle, je dois en tenir compte. Si j’étais différent, les choses seraient autrement, etc. »
C’est un déplacement permettant d’atténuer un vécu émotionnel brutal pour le rendre plus supportable. C’est en multipliant ces déplacements que s’ancre le déni. Plus le temps de contact toxique perdure et plus la victime s’enfonce dans cette attitude. Mais cette dissociation revient
2) la prise de conscience du traumatisme est déclenché par un stress diffus. Des nuits sont agitées, des angoisses nocturnes ou diurnes vont et viennent, un malaise général s’instaure peu à peu, une apathie, une lassitude inexpliquée, des périodes de paniques, un repli social, etc. Ces multiples signaux sont les précurseurs d’atteintes organiques, si la source générant ces effets n’est pas rapidement identifiée. Souvent, la personne consulte d’abord le médecin de famille. Il est à même de définir l’orientation du patient vers des structures adaptées.
Parfois mes patients disent : « Je ne sais pas ce que c’est ni pourquoi je ressens toutes ces choses, mais il faut que cela cesse. »
Quelle peut être la phase suivante de la maltraitance morale ?
Des atteintes organiques conduisant à des pathologies identifiables. Si certaines maladies sont réversibles, d’autres au contraire peuvent engager le pronostic vital. Les plus connues sont l’atteinte cardio-vasculaire, le cancer, le diabète, des addictions de diverses natures, une modification du comportement alimentaire, etc… S’il est particulièrement complexe de définir exactement la causalité, il n’en demeure pas moins que l’affaiblissement moral potentialise ces atteintes. De fait, il me semble important de donner « une forme juridique » à cette maltraitance.
Pourquoi établir une jurisprudence de maltraitance morale de type perverse ?
Parce que l’atteinte de l’intégrité des victimes est réelle. Or, la justice telle qu’elle est faite dans notre pays, se doit de protéger les personnes affaiblies (personnes âgées, handicapées, précaires physique et/ou moral, etc.). Pour reconnaître la précarité psychique d’une personne, l’aide de médecins psychiatres est indispensable. Ce n’est pas le cas en majorité. Certaines personnes sont tout simplement anesthésiées par la prise de médicaments. Quant au débriefing des victimes, il n’est pas possible par manque de moyens et de temps.
Cependant, si un lien est plausible, pourrait-on soulever l’idée de dommages et intérêts ? Si l’amoindrissement d’une personne est lié à la conséquence de cette manipulation, pourquoi attendre ? Une maladie, une incapacité ponctuelle ou plus longue ne motive-t-elle pas la décision d’un combat courageux ?
Fin de la seconde partie
Article écrit par Thierry MIGNON Sophrologue Psychothérapeute